Le roman satirique de Timur Wermes sur Hitler traduit en français

« Il est de retour » vient de sortir en France chez Belfond. La farce grinçante de Timur Wermes, qui met en scène le retour du Führer dans un Berlin contemporain, a rassemblé 1,5 million de lecteurs outre-Rhin et fait couler beaucoup d’encre. Première rencontre avec le lectorat franco-allemand au Goethe Institut à Paris en compagnie de son traducteur en français Pierre Deshusses, suivie d’un débat parfois tendu.

 

« Je n’ai pas ri en le traduisant, car je ne ris pas facilement, mais souri, oui ! », Pierre Deshusses

Timur Wermes, venu faire la promotion de son livre en France, débute la soirée par la lecture d’un chapitre de Il est de retour. Surprise et gêne, c’est la voix d’Hitler que l’on entend résonner entre les murs du Goethe Institut ! Car l’auteur s’est bel et bien mis dans la peau du dictateur pour écrire sa parodie.

Pierre Deshusses, son traducteur en français, explique avoir lui-même été écouter sur internet la voix d’Hitler pour savoir comment il parlait, et avoir été surpris de découvrir dans certains enregistrements « une voix séduisante, pas celle d’un fou, une voix assez chaude ». Un pouvoir de séduction qui, selon l’auteur, pourrait encore très bien agir aujourd’hui. « Un dictateur n’entrerait pas dans cette salle en disant qu’il va tuer tous ceux qui s’opposent à lui, un monstre ne se présente jamais comme tel », expose Timur Wermes qui dit avoir voulu « réactiver le sujet ».

Le lecteur est ainsi entraîné dans les pensées du dictateur confronté tel Candide à la découverte d’un monde inconnu – l’Allemagne contemporaine – que l’on découvre avec ses yeux. Un cycliste par exemple dont « l’aspect avait au moins quelque chose de familier – de doublement familier même. Nous étions toujours en guerre, il portait en effet un casque, et vu les trous qui le perçait, celui-ci avait sans doute été fortement endommagé par les attaques précédentes », ou la presse, ainsi le Bild, « un journal surtout apprécié des personnes d’un certain âge » dont « l’attrait venait de la taille des caractères ». Sa critique de la société moderne dérange dès lors qu’elle est pensée et prononcée par le Führer, a fortiori si le lecteur tombe d’accord avec ses observations.

Le malaise du lecteur

« Quand une de ses réflexions semble juste, cela crée un malaise, car le mécanisme de rejet – si Hitler trouve cela juste, alors ce ne l’est pas – est trop facile, il faut trouver autre chose », argumente Timur Wermes. « Le plus effrayant est quand on réalise qu’il nous ressemble », atteste une lectrice. À la manière de l’expérience de Milgram sur le degré d’obéissance, le lecteur est parfois amené à revenir quelques pages en arrière pour comprendre à partir de quand le raisonnement déraille et comment on en est arrivé là… Une prise de conscience qui n’est pas forcément la garantie d’une franche rigolade.

Accusé de rendre dans son livre le Führer sympathique, Timur Wermes rappelle que son personnage n’énonce aucun regret et poursuit le même projet que l’original, qu’il a essayé de le rendre « ni plus méchant, ni meilleur », mais qu’il est d’autant plus dangereux dans le roman qu’il reçoit l’aval des médias et que la télé lui tend un pont d’or…   Il convient donc d’être vigilant. Message principal du livre que martèle l’auteur.

Une littérature dangereuse

« Cela peut être une littérature dangereuse, car tout dépend de sa réception » s’inquiète un monsieur d’un certain âge qui oppose aux arguments de l’auteur qu’il y a des « choses qui sont noires et blanches, et des zones grises dans lesquelles il convient de ne pas s’aventurer ». Le débat s’oriente ensuite vers la question de la légitimité. A-t-on le droit de rire d’Hitler quand on est allemand ? Ja wohl, assure l’auteur, qui demande un rien provocateur si Woody Allen n’aurait pas le droit de faire des blagues sur la Palestine, au prétexte qu’il n’a pas de parents palestiniens. « Il n’y a pas de licence décernée à certains, ni de police de l’humour », poursuit l’auteur qui dit avoir par ailleurs pleinement conscience du risque encouru de choquer les sentiments des uns ou des autres, de plaire ou de déplaire. Son traducteur confirme qu’il a, selon lui, « pris des risques ».

Timur Wermes avance également l’idée que « l’humour est un élément de défense de la psyché humaine, une arme pour dépasser les traumatismes », reconnaissant par ailleurs être né trop tard (1967) pour avoir personnellement un travail de « dépassement du passé » à accomplir. Il entend plutôt « poser des questions, sans avoir les réponses ». Raison pour laquelle, le livre n’aura pas de suite, car cela n’aurait pas de sens de les poser deux fois… « À moins que je ne puisse pas payer ma retraite ! », se ravise l’auteur, qui assure n’avoir eu nul autre lecteur en tête que lui-même quand il rédigeait son roman. Il raconte ainsi en toute simplicité et avec le plus grand pragmatisme, « je me suis dit, quitte à travailler un an à un livre qui n’allait peut-être pas marcher, autant que je m’amuse moi-même ».

 

A propos CLAIRE DARFEUILLE

Traduction, encore et toujours, partout, en toute circonstance, pour le meilleur !
Cet article, publié dans Allemand, Auteurs, Goethe Institut, L'Actu, Pierre Deshusses, Timur Wermes, Traducteurs, est tagué , , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Laisser un commentaire